mardi 20 novembre 2012

Pleurer sans faire de bruit


Lorsque j'étais enfant on m'a appris très vite qu'il était inutile de pleurer. Toute petite j'ai tenté de me révolter et je faisais des colères épouvantables, surtout après la naissance de mon jeune frère (j'avais 15 mois). J'allais sur la terrasse et hurlais assez fort pour que maman soit obligée d'intervenir par crainte du scandale, du quand-dira t-on.

Un peu plus tard, vers quatre ans, j'ai appris qu'il ne me fallait pas pleurer en faisant du bruit, je pleurais le plus souvent discrètement, et si maman s'en apercevait elle me disait:

Vraiment, tu fais des histoires pour pas grand chose!
Tu devrais avoir honte de pleurer pour rien.

Quoi qu'il arrive je ne devais pas pleurer ou me cacher pour pleurer car sinon, je me faisais gronder encore davantage.

Je me revois retenant mes larmes et priant pour qu'elles ne se mettent pas à couler.

Je suis devenue sourde d'une oreille à la suite d'une rougeole en Afrique noire, je devais avoir six ans. M'étonnant ne pas entendre d'une oreille, je l'ai dit à maman qui a cru que je mentais "pour faire mon intéressante". Je le tus donc et ne le signalais que de temps en temps.  Deux ou trois ans plus tard, mon père demanda à ma mère de faire vérifier "quand même"
Maman m'emmena donc chez un otorhino, qui après m'avoir examiné me fit passer des tests, au fur et à mesure des tests j'ai entendu maman dire:

Elle doit faire semblant!
et rajouter
Ne vous laissez pas avoir Penelope fait souvent semblant.

Le médecin répondre

C'est impossible madame, elle ne peut savoir quand il y a du bruit ou pas.

Au bout d'un temps long,  le médecin nous fit asseoir toutes les deux devant son grand bureau et dit avec des précautions:

Penelope n'entend pas de son oreille droite, elle est complètement sourde de cette oreille

Maman éclata en sanglot, et pleura bruyamment, j'étais ennuyée, je savais ne pas  devoir lui faire de peine, et là, je lui faisais de la peine, j'étais mortifiée, je n'étais pas bonne  fille,  je ne disais rien, essayant de me faire la plus petite possible dans  mon siège et pas de chance mes yeux se remplissaient de larmes. Au bout d'un moment le médecin dit

Madame contenez vous, pensez à elle!
Maman répondit
Mais vous ne vous rendez pas compte quel choc c'est pour moi.
A quoi il rétorqua:
Le choc est d'abord pour elle, elle est la première concernée.

La fin de la consultation fut tendue, je en revis jamais le médecin et je sentis que maman me reprochait d'être sourde, comme une atteinte que je lui avais porté  à sa dignité de mère. Rassurez vous ce très léger handicap ne m'encombre pas,  et me gêne très peu, le truc de bien avec les mères non-empathes, c'est qu'on s'endurcit ou on crève, moi, je me suis endurcie.

Quelques années plus tard,cependant je mis  à nouveau ma mère mal à l'aise devant un adulte, sans le faire exprès, je savais que je ne devais jamais lui  faire de peine, elle se sacrifiait déjà  assez  pour nous  et il était terriblement mal élevé de mettre sa mère dans l'embarras.
J'avais onze ans, maman me faisait régulièrement  couper les cheveux chez un coiffeur d'homme, des coupes à la garçonne, que je haïssais, je voulais  laisser pousser mes cheveux et la suppliais de ne pas me les  faire couper.
Cette fois là, j'ai dû particulièrement être triste, maman avait sauté un trimestre et mes cheveux commençaient à pousser, une frange sur le front, et des mèches dans le cou,  c'était moche, mais je ne faisais plus garçon. j'avais la nostalgie de mes jolis cheveux longs blonds qu'elle a décidé un jour de raser sans me consulter, des années auparavant, avais je cinq ou six ans?
Lorsqu'elle me prévint de ce rendez vous, je pense que j'ai dû protester et râler autant qu'il m'étais permis de le faire. Je me souviens très bien de cette marche pour me rendre au rendez vous, j'avais l'âme en peine et pleurais silencieusement, maman faisait mine de ne pas s'en apercevoir.

Arrivée chez le coiffeur, elle me remit entre ses mains en lui disant:
Le plus court possible s'il vous plait, je vous la laisse et reviens dans une demi heure, à tout à l'heure.

Le coiffeur gentiment me fit monter sur ce siège de bourreau, me noua le peignoir autour du cou, j'avais froid et frissonnais,  la radio marchait très fort, il se saisit de ses ciseaux et s'arrêta et me dit

Qu'est ce qu'il y a petite, je t'ai fait mal? Le cordon du  peignoir est trop serré?
Désolée je lui répondit
Non, non, ça va très bien je vous assure!
Mais tu pleures, tu ne pleures pas pour rien, qu'est ce qui ne va pas?
Je ne veux pas avoir les cheveux courts, je ressemble à un garçon,  je suis une fille, je veux avoir les cheveux longs.
A ma grand honte j'éclatais en sanglots et devenais fontaine. Il arrêta la radio.
Mais tu l'as dit à ta mère?
Entre deux sanglots je soufflais:
Oui!
Tu lui as dit comme ça?
Oui!
Et elle dit quoi?
Que je suis  bien plus jolie avec les cheveux courts et que je ne dois pas faire d'histoire.

Le coiffeur qui était brave homme était ennuyé, il se mit à me couper les cheveux, sans remettre la radio et m'assura parler à ma mère. Il me coupa les cheveux dans un silence très lourd, nous ne disions plus un mot, ni lui,  ni moi; moi, je pleurais.

La coupe était finie et j'étais dans  un fauteuil à l'attendre  lorsque maman est revenue me chercher, pour payer et partir. Le coiffeur s'occupait d'un autre client, il s'excusa en lui demandant de patienter et dit à ma mère

J'ai à vous parler.
Elle n'a pas été sage?
Si, si. Petite va attendre dehors.

Je suis allée dehors, je ne sais pas ce qu'il lui a dit,  mais maman en me rejoignant  était furieuse, en me ramenant à la maison j'ai eu le droit à des "faiseuse d'histoire"" pleurer pour pas grand chose" .
Je pleurais toujours en silence.

Je ne sais pas non plus ce qui s'est dit avec mon père, ni même si il a été mis au courant.  Je n'ai pas été grondée davantage,  maman ne m'a rien dit rien du tout comme si cet incident n'avait pas existé, j'étais soulagée, je craignais d' en être  punie. 

 Ma mère m'a annoncé deux ou trois mois plus tard, d'un ton pincé et de colère retenue  que je pouvais désormais me laisser pousser les cheveux, mais que il ne fallait pas compter sur elle pour les peigner ou les démêler  ou quoi que ce soit,  je devrais me débrouiller toute seule... J'étais surprise mais ravie, elle était furieuse.

J'ai porté les cheveux longs jusqu'aux fesses pendant peut être vingt ans!

C'était à la veille de ma puberté, et j'ai appris à ne plus pleurer du tout, enfin le moins possible.


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